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Jean Blaise : la culture pour « réenchanter la ville »

Jean Blaise, devant un "anneau" de Buren

Jean Blaise, devant un « anneau » de Buren

La figure de Jean Blaise est maintenant une référence incontournable en France dans le monde culturel. Parce que c’est lui – entre autres – qui a sorti Nantes de sa figure de « belle endormie » pour en faire un des villes de référence, les plus innovantes, les plus attractives. A son actif, le festival des « Allumées », dont l’intitulé fait frémir : « pendant 6 ans, 6 villes seront mises à l’honneur, chaque année pendant 6 jours, de 6 h du soir à 6 h du matin. Ou encore l’exceptionnelle reconversion de l’usine LU en ce « Lieu Unique » qu’on visite de toute la France (et qui, tant dans l’esprit que dans l’histoire et la réalisation architecturale, parlera beaucoup aux roubaisiens, puisque c’est le même architecte, Patrick Bouchain, qui avait été chargé des travaux sur la Condition Publique…).

Le Lieu Unique

Le Lieu Unique, à la façade si emblématique

Citons aussi Estuaire, qui parsème chaque année la Loire entre Nantes et St Nazaire de propositions artistiques originales, décalées, gigantesques ou intimes. Et, actuellement, le Voyage à Nantes, qu’on appellerait ailleurs un festival estival mais qui est un peu un assemblage de tout celà et de bien d’autres choses encore, et qui attire bon an mal an 2 millions de personnes à Nantes chaque été, avec une hausse de 25% de la fréquentation touristique depuis son démarrage en 2012, excusez du peu…

Bon, c’est vrai qu’avec les budgets que Jean-Marc Ayrault lui avait confiés, il était difficile de faire quelque chose de médiocre, mais au moins a-t-il été à la hauteur des attentes de faire quelque chose de remarquable. Reconnaissons aussi que certaines de ses propositions laissent parfois songeur, comme cette « Absence », une sorte de café snack informe devant l’école d’architecture, ou quelques sculptures contemporaines d’un goût moyen comme le « Non Thinker »…

l'absence the_non_thinker

Ce qui est remarquable dans ce parcours, c’est bien sûr la confiance des décideurs qu’il a su conquérir, autour de propositions pas forcément aimables ni consensuelles, mais avec une vraie ligne directrice d’aller chercher les habitants où ils sont, de « sortir de la boîte », c’est à dire sortir du bâtiment, d’investir autant que faire se peut l’espace public, de rendre visibles des lieux ou des bâtiments qui  ne l’étaient pas ou plus, et de générer de vrais moments de partage collectif. Les milieux culturels nantais se demandent aujourd’hui si le bilan est vraiment si positif, et si son heure de gloire ne date pas du tout début des années 2000…

On peut en tout cas reprendre son image du « virus », que Jean Blaise espère avoir inoculé dans la ville, avec un travail régulier et maintenant constant avec le service des espaces verts, avec les structures chargées du tourisme et de la promotion de la ville, avec le Conservatoire du Littoral…

Remettre le poireau à l'endroit

Deux livres récemment parus reflètent, de manière bien inégale, son parcours et ses idées. Le premier, « Remettre le poireau à l’endroit », est au delà d’un titre bien trouvé un entretien assez ennuyeux et inintéressant mené par Stéphane Paoli avec Jean Blaise et Jean Viard, sociologue intervenant régulièrement dans le domaine de la culture. Rythmé par des questions à vrai dire très peu inspirées de Paoli, le livre jargonne, enfonce des portes ouvertes, débat de grandes questions à vrai dire très oisives, et ne trouve que rarement l’inspiration de quelques réflexions marquantes.

réenchanteur de ville

A l’inverse, le « Réenchanteur de ville, Jean Blaise » de Philippe Dossal, sous la forme d’un portrait évidemment flatteur mais néanmoins assez factuel, séduit surtout par ce qu’il retrace de concret du parcours, des succès, des interrogations et des échecs de Blaise. L’on prend conscience de l’impact de 30 ans de politique culturelle sur le territoire nantais, de l’évolution de celui-ci, des axes marquants d’une politique et d’une réflexion, mais aussi d’un entourage, d’un solide réseau, et bien sûr d’un soutien politique constant et décisif. Une lecture recommandée pour qui s’intéresse aux politiques culturelles en France. Pour mettre en perspective, en lire aussi ici une critique assez bien troussée

On pourra aussi dresser des parallèles entre 2 initiatives finalement nées de la même matrice et assez comparables, celles du « Voyage à Nantes » et de Lille3000. Les 2 partent du principe de convier des artistes internationaux à intervenir sur un territoire, à grand coup de défilés, carnavals, propositions décoiffantes (un éléphant gigantesque à Nantes, une maison ou une forêt à l’envers pour Lille3000) et mises en valeur de lieux délaissés (Le Lieu Unique, Le Tri Postal).

La différence majeure réside peut-être dans l’aspect lillo-centré de Lille3000, alors qu’avec Estuaire Jean Blaise a su montrer qu’il savait dépasser les limites de l’agglomération nantaise pour travailler en collaboration avec tout un territoire…

Zombies : toutes les cultures sont les bienvenues à Roubaix…

Zombie Walk Lille 2013, photo page Facebook Zombie Walk Lille

Zombie Walk Lille 2013, photo page Facebook Zombie Walk Lille

Cachez ce zombie que je ne saurais voir…

C’est peu dire que l’interdiction par la ville de Lille du « Zombie Walk »  initialement prévu ce week-end à Lille m’a vraiment surpris. J’avais d’abord bien du mal à imaginer les débordements éventuels qui auraient pu avoir lieu dans un rassemblement qui est de manière évidente bon enfant, familial et participatif. J’ai été d’ailleurs assez étonné de la désinvolture avec lesquels sont traités les 5000 participants, excusez du peu, qui devaient initialement en faire partie. Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est la raison invoquée pour cette interdiction, la « mauvaise image » qu’ils donneraient de la ville. On croit franchement halluciner. Qui pourrait croire un seul instant que quelqu’un irait penser « Non, je n’irai pas en week-end à Lille, j’ai vu qu’ils avaient fait un Zombie Walk »…? Je me suis même demandé à un moment si on n’allait pas interdire aux enfants lillois de se déguiser en sorcières et sorciers et de sonner aux portes pour demander des bonbons pour Halloween !

Un jeune zombie (photo Voix du Nord)

Un jeune zombie (photo Voix du Nord)

Un décalage sociétal et générationnel

Derrière ce ram-dam médiatique, de quoi s’agit-il en fait ? Tout simplement et très clairement d’un décalage sociétal et générationnel des responsables politiques, qui apparaît sous ces 2 interdictions. La « culture zombie », qu’on le veuille ou non, est un fait réel et massif. Les films de zombie sont légion et font recette. La série Walking Dead, sous forme de comics et en série TV, bat record sur record. C’est bien évidemment une sous-composante de ce qu’on pourrait appeler une « culture geek », à base de science fiction, de jeux vidéos, de Star Wars, de bien d’autres choses encore, le tout agrémenté de mauvais goût et d’humour potache. Sur cette base de culture partagée par les ados, les jeunes adultes, les trentenaires et les quadras, un zombie walk n’est finalement qu’un rassemblement convivial et festif, où l’on exprime ensemble sa passion pour un univers alternatif, transgressif et finalement bien sage, sans doute bien plus qu’une Fête de la Musique ou qu’une nuit de Braderie…

A Roubaix, toutes les cultures sont les bienvenues

Mais encore faut-il pour cela partager ces codes, considérer que la culture geek existe , et ne pas s’intéresser qu’à une prétendue « vraie culture », celle qu’on peut mettre en exposition au Tri Postal ou dans une création de l’Opéra de Lille.

Zombie Walk Paris 2013 (photo dvelec.com)

Zombie Walk Paris 2013 (photo dvelec.com)

Alors je le dis haut et fort : à Roubaix, toutes les cultures sont les bienvenues, même la culture zombie ! Depuis plus de 20 ans, Roubaix s’attache certes à accueillir et soutenir des propositions culturelles d’excellence, mais aussi et surtout (c’est bien ce qui fait la spécificité du projet culturel roubaisien) à veiller à ce que les acteurs culturels de la ville « parlent » aux roubaisiens, par le biais d’ateliers, de visites, de projets participatifs, d’actions culturelles, de festivals des habitants, et bien d’autres initiatives encore.

Pour ce faire, tout ce qui « fait culture » pour les roubaisiens fait culture pour la ville aussi. La « culture zombie » et par extension la « culture geek » sont bien évidemment des objets culturels tout à fait dignes d’être considérés. Est-elle de mauvais goût, outrancière, agressive, politiquement incorrecte..? Oui, bien évidemment, et je dirais presque tant mieux ! L’art officiel, consensuel et lisse n’a jamais été très intéressant. Et puis quelle belle affaire, Jan Fabre fait bien pire sur la scène de l’Opéra de Lille (voir mon post de blog à ce sujet), simulacres de viols à répétition jusqu’à la nausée, et miction en direct sur scène, mais comme il est dans les codes d’une culture reconnue et officielle, ça ne pose de problèmes à personne.

Zombie Walk Paris 2013, Don du Sang... (photo dvelec.com)

Zombie Walk Paris 2013, Don du Sang… (photo dvelec.com)

Les zombies et tous ceux qui veulent affirmer leur attachement à ce mouvement culturel sont donc les bienvenus à Roubaix; je rêve personnellement de voir 5000 zombies descendre l’avenue Jean-Baptiste Lebas le 31 octobre 2015, chiche..?