ou : Pourquoi Roubaix n’est pas devenue la Detroit française…
Une ville ancienne, qui a dominé le monde par son industrie, mais qui a durement souffert du déclin de celle-ci, qui a connu une importante paupérisation et une augmentation sensible de la délinquance…Ca ne vous rappelle rien ? Non, ça pourrait ne pas être de Detroit dont je parle, mais de Roubaix.
Comme Detroit avec l’automobile, Roubaix a été (une des) capitales mondiales de l’industrie textile au début du 20 ème siècle, qu’on appelait “la ville aux 1000 cheminées”, et qui en porte les traces prestigieuses à travers de nombreux bâtiments de la ville.
Comme Detroit, Roubaix a durement souffert du déclin rapide de cette industrie florissante, et les friches industrielles sont aujourd’hui légion.
Comme Detroit, la reconversion n’a pas été simple et aucune nouvelle activité miraculeuse n’est venue la sauver. Comme Detroit, le chômage y est beaucoup plus important que dans le reste du pays ou dans les autres villes (19.5 % de la population active à Roubaix; 16.3 % à Detroit après un pic à 27% en 2009).
Comme Detroit, les habitants riches l’ont quitté petit à petit et c’est dans le coeur même de la ville que s’est installée une population beaucoup plus pauvre; à tel point que Roubaix est une des rares villes en France où la zone franche inclut le centre-ville (au moins partiellement). A Detroit, la population est passée de 1 800 000 en 1950 à 685 000 aujourd’hui soit une baisse de de 63%. A Roubaix, la population a culminé à 125 000 habitants au début du 20ème siècle pour péniblement atteindre les 94700 en 2010, soit une chute de 25%, alors que la population française est passée de 40 à 65 M sur la même période (+60%).
La concentration d’une population pauvre a pour conséquence aussi la baisse des recettes de la ville, qui ne peut plus se procurer les ressources nécessaires à son développement, et doit financer de coûteuses politiques sociales.
De plus, comme Detroit, l’insécurité, la délinquance, les trafics en tout genre ont prospéré sur ce terreau fertile, et si l’expression “zone de non droit” est parfois galvaudée, il faut reconnaître que certains quartiers de la ville sont particulièrement concernés par les trafics et incivilités en tout genre.
Enfin, comme Detroit, Roubaix traîne depuis plusieurs années une réputation détestable. Celle de Detroit était plutôt de capitale du crime; celle de Roubaix est malheureuse “la ville la plus pauvre de France”.
Mais pour autant, la nouvelle de la faillite de Detroit, si elle est assez frappante pour une ville de cette taille, nous fait prendre conscience que, face à une situation relativement comparable, Roubaix a su prendre un chemin différent et beaucoup plus positif.
Tout d’abord, reconnaissons-le, la France a mis en place des filets protecteurs pour ses territoires les plus fragiles, et Roubaix en a abondamment – et à juste titre – profité. En 2012, sur un total de recettes de 147 M€, Roubaix bénéficie d’une dotation de solidarité s’est montée en 2012 à 27 M€, expression sonnante et trébuchante du soutien de la nation. Pour donner un ordre de grandeur, cela représente à peine moins que la rémunération principale des personnels municipaux (30 M€), hors charges sociales. Sans cette dotation, Roubaix devrait se séparer de la moitié de ses personnels. On mesure bien les impacts que cela aurait sur le fonctionnement de la ville et la vie quotidienne des habitants.
Les élites roubaisiennes, il faut l’avouer, n’ont pas toujours su comment affronter un déclin annoncé, puis imminent, puis trop présent; disons qu’entre les années 70 et les années 90, Roubaix s’est enfoncée dans le marasme puis la crise puis la paupérisation.
Heureusement, un sursaut a eu lieu, mené par des hommes d’exception certes (je pense bien sûr à André Diligent), mais aussi par une prise de conscience globale qu’il fallait agir, et tenter autre chose que les recettes qui échouaient jusqu’alors. Le triptyque qui s’est alors dessiné, quelque chose comme une politique de soutien social massif, une action urbaine volontariste, un fer de lance de renouveau culturel, reste encore aujourd’hui la base des politiques municipales qui se sont succédées.
Cependant, si heureusement le filet national et les élites locales ont permis à Roubaix de s’en sortir, il faut bien reconnaître que cette situation est précaire, et que depuis 10 ans le progrès est beaucoup moins tangible. On pourrait même dire que les signes d’une dégradation profonde de la situation de la ville s’accumulent : les fermetures d’entreprises et les plans sociaux se succèdent, la désertification commerciale s’amplifie et les friches refleurissent, la “pompe à pauvreté” du logement très social et de l’habitat indigne ne s’est pas enrayée, l’insécurité reste une préoccupation majeure et l’on peut même craindre que les comportements délinquants ne se radicalisent.
Certes, la faillite n’est pas encore aux portes de la ville, il serait faux de faire croire que la gestion actuelle en fait sérieusement courir le risque. Mais ce qui peut être plus inquiétant, c’est plutôt l’absence d’un projet porteur qui soit vraiment enthousiasmant; et les incantations actuelles sur le “vivre ensemble” n’en sont pas un.
Après tout, c’est aussi à cela qui doivent servir les municipales…
Quelques liens :
Sur la faillite de Detroit : http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0202907075614-detroit-les-sept-raisons-de-la-faillite-587906.php
http://www.courrierinternational.com/article/2013/07/19/detroit-apres-la-faillite-les-questions
Le “fameux” classement des villes les plus pauvres : http://www.journaldunet.com/economie/magazine/les-villes-les-plus-pauvres/roubaix
et Le Monde nous rappelle pourquoi une ville française ne peut (quasiment) pas faire faillite… : http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/07/19/une-ville-peut-elle-faire-faillite-en-france_3450341_823448.html