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« Richie », dans la fabrique du pouvoir et de l’élite française

richard-descoings-kiosqueC’est presque devenu un genre littéraire à part entière, la « biographie politique par les journalistes du Monde ». Après le « Mauvais génie » d’Arianne Chemin et Vanessa Schneider le mois dernier consacré à Patrick Buisson, c’est au tour de Richie, alias Richard Descoings, sous la plume de Raphaëlle Bacqué. Et c’est, dans l’ensemble une vraie réussite.

Le premier chapitre est une accroche parfaite. La séquence d’ouverture d’un biopic qu’on aimerait voir se faire. Frappant, visuel, émouvant, inattendu, historique. La plume légère, bien trempée. On plonge la tête la première.

Le voyage est, avouons-le, souvent passionnant; et on découvre un Richard Descoings qu’on était bien loin de soupçonner. Son passage à Aides, son élection à la tête de Sciences Po à moins de 40 ans, son drôle de ménage avec Guillaume Pépy, sa gestion speed et borderline de la vénérable institution, la quasi rock star qu’il était devenu, le personnage a de nombreuses facettes que Raphaëlle Bacqué décrit avec brio.

l'auteure, Raphaëlle Bacqué

l’auteure, Raphaëlle Bacqué

C’est aussi la face cachée du fonctionnement en réseau d’une certaine élite française qu’on y découvre, bien sûr dans les parcours croisés des cabinets ministériels et des grands corps de l’Etat; mais aussi les innombrables retours d’ascenseur de l’enseignement supérieur, du monde des médias, la tambouille assez indigeste qui fonctionnait si bien dans la gestion de Sciences Po. Et un certain fonctionnement de « la fabrique du pouvoir » qui s’illustre de manière très parlante sous nos yeux.

Les chapitres sur la naissance des programmes d’intégration directe en première année des élèves issus des lycées de banlieue sont à ce titre édifiant, et prendront une saveur toute particulière pour le lecteur roubaisien, en particulier ceux qui en connaissent les lycées, leurs élèves et leur entrée dans l’enseignement supérieur. L’on y voit un directeur qui rend visite à des proviseurs dans sa voiture de fonction un peu comme dans un safari; des proviseurs ébahis qu’on s’intéresse à eux et à leurs élèves; des chargés de mission passionnés jusqu’à la moëlle; un amphi mémorable où « Richie » arrive à convaincre ses étudiants du bien fondé du programme; et les innombrables jeux de couloir nécessaire pour arriver à faire passer la loi en question. Du bel ouvrage à vrai dire.

Le livre est à vrai dire un peu moins convaincant sur les aspects psychologiques des différents personnages et de Descoings en particulier; qu’on a souvent bien du mal à saisir. Est-il bipolaire ? Suicidaire ? Sous speed et calmants ? Quelle relation l’unit avec Guillaume Pépy et comment évolue-t-elle ? Comment comprendre, au delà de la façade qui ne convainc personne, son mariage et son tandem avec Nadia Marik ? Quel est ce charisme qui lui permettait de convaincre tant de recrues brillantes de le rejoindre à Sciences Po, et qui restait malgré l’enfer professionnel qu’ils y vivaient parfois ? Sur tous ces sujets, Bacqué n’emporte pas l’adhésion. Il y aurait sans doute fallu la plume d’un romancier plus psychologique, sans doute de haut vol vu le personnage, pour nous permettre d’approcher un peu plus la psyché torturé de « Richie », ou du moins de s’en approcher. A défaut, on a quand même souvent l’impression d’avoir affaire à un directeur psychologiquement instable et hystérique, sans trop comprendre pourquoi.

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Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir, ce « Richie » est addictif et s’avale d’une traite. On peut se demander si tout cela en fait un modèle de « disruption » et de gestion d’un établissement d’enseignement supérieur. Au vu de l’héritage et de l’oeuvre accomplie, sans doute, oui.