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A la création mondiale de « Auguri » d’Olivier Dubois

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Le flyer… »Weltpremiere » !

C’est peu dire que la création d’Auguri, d’Olivier Dubois, était attendue avec impatience. Non seulement parce que c’est sa première « grande » création depuis son arrivée à la tête du Ballet du Nord – CCN Roubaix, mais aussi – et surtout – parce que c’est la nouvelle création d’un des chorégraphes français les plus reconnus dans le monde entier.

Sa pièce précédente, Tragédie, est un succès phénoménal, tant vis-à-vis des critiques que du public (j’en parlais ici) ; avec déjà plus de 100 représentations depuis sa création au festival d’Avignon en 2013, pour une œuvre qui implique une vingtaine de danseurs, c’est réellement un « tube » de la danse contemporaine ; et d’ailleurs la troupe du Ballet du Nord s’envole la semaine prochaine pour Sydney où 3 représentations y seront données.

Grâce au Ballet du Nord, j’ai pu donc assister hier à la création de l’œuvre au Kampnagel, qui faisait l’ouverture du très réputé Sommerfestival de Hambourg… et j’ai été emballé. On retrouve tout ce qu’on aime dans l’art d’Olivier Dubois : des danseurs impliqués à l’extrème, des idées et des concepts travaillés jusqu’au bout, une précision et une rigueur hallucinantes, une mise en scène sobre mais prenante, la musique électro de François Cafenne qui fait partie intégrante de l’œuvre.

salut final

salut final. Pas de photos du spectacle, parce que c’est interdit…(les premières photos de presse arrivent bientôt!)

De quoi s’agit-il concrètement ? 24 danseuses et danseurs (oui, Olivier Dubois aime les groupes et les œuvres d’ampleur) travaillent un geste à la fois simple et peu utilisé dans la danse : ils courent. Seuls, à deux, à 3, à douze, à 24. Ils forment des boucles, des figures, des cercles, des aller-retours, sans jamais s’arrêter de courir. Ils se suivent, se font face, s’évitent, se font miroir, et disparaissent en un instant derrière un fond de scène mystérieux et en évitant 4 boîtes disposées sur le plateau.

Mais on se rend vite compte qu’il y a une infinité de manières de courir, et que chaque danseur a son style de course bien à lui, qui peut aussi changer, évoluer,  exprimer bien des choses. Et malgré une durée tout à fait raisonnable, à peine plus d’une heure, on est rapidement saisi par une sorte de transe devant ces courses infiniment diverses, expressives, impressionnantes, dont les subtiles variations sont finalement perçues comme des révolutions. Pour retrouver une des acceptions originales de « Auguri », les parcours des danseurs m’ont aussi évoqué des oiseaux volant en nuée, dans des figures toujours renouvelées, d’une complexité rare et malgré tout dans une parfaite coordination…

Alors oui, cet « Auguri » est une digne suite de « Tragédie »; et on ne peut qu’espérer que le même succès public et critique sera au rendez-vous.

Auguri donnera aussi lieu à une déclinaison avec des amateurs, « Auguri Extended »; et à une proposition qui sera reprise dans l’édition 2016 de #XU, le festival des cultures urbaines de Roubaix.

Auguri sera créé en France à la Biennale de Lyon cet automne et à l’Opéra de Lille (https://www.opera-lille.fr/fr/archives/bdd/cat/danse/sid/99628_auguri) les 6 et 7 décembre prochain. Grosse actualité Olivier Dubois cet automne puisqu’on pourra aussi se préparer en découvrant le 23 novembre le fameux « Tragédie » au Colisée de Roubaix (http://www.coliseeroubaix.com/196_tragedie.html)

Au Kampnagel

Au Kampnagel

Crazy in #Mons2015 avec les roubaisiens de Art Point M !

C’était samedi 24 janvier dernier la soirée d’ouverture de Mons2015, capitale européenne de la culture, et je n’ai pas résisté à l’envie d’aller voir ce que nos voisins belges avaient concocté…

Crazy House, by Thanh

Crazy House, by Thanh

Pas de parade d’ouverture à la Lille 2004, il paraît que les rues du centre ville étaient trop étroites pour ça, mais plutôt la proposition d’une libre déambulation d’un point à l’autre de la ville, où des installations, spectacles ou concerts étaient proposés ça et là. Gros succès de cette déambulation, on attendait 100000 personnes, j’aurais bien du mal à dire s’ils étaient bien là malgré le froid de janvier, mais en tout cas la ville avait une ambiance festive qui faisait plaisir à voir.

Toute préférence locale mise à part, je dois avouer que l’endroit qui m’a largement paru plus pertinent que les autres, c’est la Maison Folie qu’occupent Fanny Bouyagui et les roubaisiens de Art Point M (oui, ceux qui font aussi la Braderie de l’Art…), judicieusement rebaptisée « Crazy House ». A l’intérieur du bâtiment, on suit un circuit digne d’un parc d’attraction, où à chaque station une installation, une animation ou une performance nous est proposée. Et quelles performances !

Mimi the clown orne la façade de la Crazy House

Mimi the clown orne la façade de la Crazy House

On démarre par découvrir la décoration du bâtiment, revue par Mimi The Clown, un habitué de la scène lilloise, dont les visages de clowns inquiétants trouvent ici une force et une dimension assez surprenante. Une gigantesque installation de figurines en céramique est le premier point fort en intérieur, autour de laquelle on peut noter sur une petit morceau de carton un voeu, qui sera accroché quelques minutes après sur un arbre à voeux multicolore, qui porte rapidement des centaines de petits cartons rouges qui volent au vent. Superbe image.

Sans décrire l’intégralité de ce que Art Point M avait concocté, on notera un tatoueur qui officie en live sur une jeune fille en lui tatouant le « slogan » de la soirée, « We see things as we are ». Une pièce très intrigante, sur le thème de Peau d’Âne, voit le film culte de Demy diffusé sur un écran, tandis que dans la pièce, recouverte de végétation sur les murs et le plafond, une princesse argentée se morfont sur un lit à baldaquin. Calme, méditatif et troublant.

Et juste après, à l’opposé exact, le clou de la visite, une pièce violemment éclairée en vert, saturée de fumigène, où une techno assourdissante est diffusée, et au milieu de la pièce Olivier Dubois, habillé en ballerine, le corps recouvert de strass, entre danse et transe, tour à tour éruptif, agressif, charmeur,  ironique, chaloupé, rythmé, effondré, et prêt à recommencer. Magistral.

 

Quelques jours plus tard, au même endroit, Art Point M organisait un « opéra culinaire« . De quoi s’agissait-il ? D’une confrontation loufoque et délicieuse entre une cantatrice, un performer et artiste de cabaret londonien, Jonny Woo, et d’un repas concocté par les jeunes chefs lillois du collectif « Mange-Lille« . Le tout fonctionnait admirablement bien, les papilles, les oreilles et les yeux se régalaient, avec un clin d’oeil particulier pour la reprise foutraque de Get Lucky par Jonny Woo, un vrai plaisir.

 

Une mention particulière pour le plat principal, concocté par Steven Ramon, qui évoquait fort judicieusement le drapeau belge :

A l'envers, à l'endroit; le plat de Steven Ramon

A l’envers, à l’endroit; le plat de Steven Ramon

 

Enfin, samedi soir, un « Remix » des créations de mode était proposé sous forme d’un défilé; bien sûr un peu décalé. Tenues poétiques, politiques, masques, messages, l’ensemble était varié et riche; et pour finir une très impressionnante tenue-drapeau qui a fait forte impression.

La semaine de résidence d’Art Point M, qui représentait « Lille », s’achève en beauté;  à venir bientôt 4 jours consacrés à Londres, avant Casablanca, Tokio et plein d’autres encore. Bravo à Art Point M pour ce lancement en beauté, et à bientôt à Mons !

« Tragédie », le choc Olivier Dubois

Oui, Tragédie est un choc. Un choc esthétique, un choc philosophique, un choc musical, un choc chorégraphique; bref un choc, comme on en a peu dans une année culturelle.

photo Christophe Raynaud de Lage

photo Christophe Raynaud de Lage

On connaît le « principe » : les danseuses et danseurs sont nus. Oui, totalement nus, du début à la fin de la pièce, sans aucun artifice. A vrai dire, en soi ça n’a rien de révolutionnaire, ça sonnerait même plutôt la contre-culture années 70 un peu éculée s’il n’y avait que ça.

Mais il n’y a pas que ça. C’est aussi une vraie pièce de troupe. 18 personnes sur scène. Depuis quand n’avez-vous pas vu un spectacle de danse avec 18 personnes sur scène ? Personnellement, depuis des années. Les budgets des compagnies de danse étant ce qu’ils sont, on est déjà content de voir 4 ou 5 danseurs, et les créations solo et duo se multiplient. Mais Olivier Dubois fait preuve ici d’un appétit, d’une envie, d’une frénésie de chorégraphie qui emporte tout sur son passage, et nous livre ici une pièce de plus d’une heure et demie, totalement écrite, pour un vrai collectif de danseurs.

photo parisart.com

photo parisart.com

Tragédie c’est aussi une grammaire chorégraphique parfaitement maîtrisée, des défiles du début du morceau qui se dérèglent lentement et subtilement, à des moments de groupe remarquables, à un passage au stroboscope proprement hallucinant , une scène de night club mémorable, ou une sublimation de la rencontre entre homme et femme fort évocatrice… Comme souvent, Olivier Dubois va au bout des possibilités physiques de ses interprètes, on les sent vidés, épuisés à la fin de la représentation, et on l’est un peu avec eux.

Car ce qui emporte le morceau, ce sont bien sûr les danseuses et les danseurs. Il faut en avoir du courage et de l’envie pour se livrer littéralement à nu au public tous les soirs. Avouons que le spectateur passe aussi par une phase assez troublante d’appropriation de cette nudité. On ose à peine y croire, d’ailleurs les premières minutes, dans une semi-obscurité, autorisent encore le doute, on se surprend à penser qu’il ne l’a pas vraiment fait, qu’il y a un artifice, des vêtements discrets. Dès que les lumières s’allument, on se rend à l’évidence compte que non, et regarder la nudité en face n’est pas chose aisée, surtout dans le cadre d’un spectacle; il faut quelques minutes encore pour qu’on s’habitue à avoir un oeil artistique et non voyeur.

photo lesouffleur.net

photo lesouffleur.net

Forcément, cette pièce porte à l’appréciation des corps, donnés à voir en évidence. On redécouvre comment chaque danseur, sans aucun artifice de costume, dans des mouvements d’une grande simplicité et d’une grande pureté, dégage pourtant quelque chose d’unique et de spécial, qui lui est spécifique; et sur les 18 interprètes, on finit par n’en regarder que 3 ou 4, guère plus, qui nous ont scotchés.

Un dernier mot sur la musique de François Caffenne, si forte et si présente pendant toute la pièce, écrite « sur mesure » bien sûr, avec ses moments de grande simplicité, ses moments très rythmiques, des passages très doux, et un soin apporté aux transitions par lesquelles on sent tout de suite, presque inconsciemment, que la situation a changé et nous permet d’encore mieux apprécier la prestation des danseurs.

En résumé, une pièce qui va bien au delà de la provocation, un moment chorégraphique fort et unique, une soirée marquante.