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Ballet du Nord : un Let’s move dionysiaque !

Il y a des moments dans la vie culturelle dont on se souviendra longtemps, et on le sait presque sur le moment – et le savoir sur le moment augmente encore le plaisir de voir le spectacle en question…
Bref, c’est un de ces moments que j’ai vécu samedi soir, presque une épiphanie. De quoi s’agissait-il ? De la première – et unique – représentation de Let’s move, le spectacle participatif de Sylvain Groud, le nouveau directeur du Ballet du Nord.
Il faut bien dire qu’on l’attendait un peu au coin du tournant, le Sylvain. Depuis qu’il est arrivé au mois d’avril, il a montré de belles intentions et s’est impliqué dans beaucoup d’actions locales et régionales, mais on était impatient de voir ce que pouvaient donner ses grands projets…Et Let’s move était ce grand projet, commande de la Philharmonie de Paris (excusez du peu!), déjà en préparation pour le Havre, Paris et Sénart…
On n’a pas été déçu du voyage. 140 amateurs, c’est beaucoup quand on y pense, et c’était déjà un bel exploit, un beau signe de confiance, que d’avoir réussi à les réunir et les motiver pour 2 week-ends complet d’apprentissage, de répétition, de vie commune. Et sur le plateau du Colisée, ça fait vraiment BEAUCOUP de monde. A vrai dire, à part pour les spectacles de type « Chorale » – et encore, il n’y a alors aucun déplacement, aucun mouvement, aucune intention de danse -, on ne voit plus de nos jours autant de monde sur le plateau. Personne ne peut plus produire un spectacle avec 100 personnes.

du monde au balcon !

D’ailleurs, cela faisait tellement de monde que les danseurs étaient partout : dans les couloirs de la salle, sur les fauteuils, sur les balcons; bref on était complètement entourés et pris par le spectacle!
Et le spectacle lui-même alors ? Il était diablement malin et bien troussé ! Encadrés, inspirés, coachés par une poignée de professionnels (on retiendra notamment le solaire Jérémy Martinez et l’élégant Julien-Henri Vu Van Dung), les amateurs dansaient, chantaient, jouaient la comédie, percussionnaient, faisaient leur show, à qui mieux mieux sur les grands airs de la comédie musicale.
Cela aurait pu être rapidement charmant mais lassant, mais Sylvain Groud avait plus d’un tour dans son sac; et la salle du Colisée s’est transformé tour à tour en salle de concert, en bal musette, en boîte techno; le public s’est rapidement mis à chanter et à danser à l’unisson avec la troupe, et c’est véritablement une salle complètement prise au spectacle et enthousiasmée qui s’est égosillée finalement sur le final de Summer Nights…
Bref, si l’adjectif dyonisiaque n’existait pas, il aurait fallu l’inventer pour cette incroyable représentation qui fera date dans l’histoire du CCN et du Colisée. On ne demande qu’une chose : les revoir bientôt !

« Tragédie », le choc Olivier Dubois

Oui, Tragédie est un choc. Un choc esthétique, un choc philosophique, un choc musical, un choc chorégraphique; bref un choc, comme on en a peu dans une année culturelle.

photo Christophe Raynaud de Lage

photo Christophe Raynaud de Lage

On connaît le « principe » : les danseuses et danseurs sont nus. Oui, totalement nus, du début à la fin de la pièce, sans aucun artifice. A vrai dire, en soi ça n’a rien de révolutionnaire, ça sonnerait même plutôt la contre-culture années 70 un peu éculée s’il n’y avait que ça.

Mais il n’y a pas que ça. C’est aussi une vraie pièce de troupe. 18 personnes sur scène. Depuis quand n’avez-vous pas vu un spectacle de danse avec 18 personnes sur scène ? Personnellement, depuis des années. Les budgets des compagnies de danse étant ce qu’ils sont, on est déjà content de voir 4 ou 5 danseurs, et les créations solo et duo se multiplient. Mais Olivier Dubois fait preuve ici d’un appétit, d’une envie, d’une frénésie de chorégraphie qui emporte tout sur son passage, et nous livre ici une pièce de plus d’une heure et demie, totalement écrite, pour un vrai collectif de danseurs.

photo parisart.com

photo parisart.com

Tragédie c’est aussi une grammaire chorégraphique parfaitement maîtrisée, des défiles du début du morceau qui se dérèglent lentement et subtilement, à des moments de groupe remarquables, à un passage au stroboscope proprement hallucinant , une scène de night club mémorable, ou une sublimation de la rencontre entre homme et femme fort évocatrice… Comme souvent, Olivier Dubois va au bout des possibilités physiques de ses interprètes, on les sent vidés, épuisés à la fin de la représentation, et on l’est un peu avec eux.

Car ce qui emporte le morceau, ce sont bien sûr les danseuses et les danseurs. Il faut en avoir du courage et de l’envie pour se livrer littéralement à nu au public tous les soirs. Avouons que le spectateur passe aussi par une phase assez troublante d’appropriation de cette nudité. On ose à peine y croire, d’ailleurs les premières minutes, dans une semi-obscurité, autorisent encore le doute, on se surprend à penser qu’il ne l’a pas vraiment fait, qu’il y a un artifice, des vêtements discrets. Dès que les lumières s’allument, on se rend à l’évidence compte que non, et regarder la nudité en face n’est pas chose aisée, surtout dans le cadre d’un spectacle; il faut quelques minutes encore pour qu’on s’habitue à avoir un oeil artistique et non voyeur.

photo lesouffleur.net

photo lesouffleur.net

Forcément, cette pièce porte à l’appréciation des corps, donnés à voir en évidence. On redécouvre comment chaque danseur, sans aucun artifice de costume, dans des mouvements d’une grande simplicité et d’une grande pureté, dégage pourtant quelque chose d’unique et de spécial, qui lui est spécifique; et sur les 18 interprètes, on finit par n’en regarder que 3 ou 4, guère plus, qui nous ont scotchés.

Un dernier mot sur la musique de François Caffenne, si forte et si présente pendant toute la pièce, écrite « sur mesure » bien sûr, avec ses moments de grande simplicité, ses moments très rythmiques, des passages très doux, et un soin apporté aux transitions par lesquelles on sent tout de suite, presque inconsciemment, que la situation a changé et nous permet d’encore mieux apprécier la prestation des danseurs.

En résumé, une pièce qui va bien au delà de la provocation, un moment chorégraphique fort et unique, une soirée marquante.