Pierre Prouvost nous a quitté ce 23 juillet 2013 à l’âge de 81 ans.
Celui qui avait été de nombreuses années l’adjoint de l’historique Victor Provo a ensuite été élu Maire de Roubaix en 77 et n’aura exercé qu’un seul mandat, pour être défait en 1983 par André Diligent, autre figure mythique locale. Député du Nord jusqu’en 1986, il s’était ensuite retiré de la vie politique locale.
Figure finalement peu connue et rarement évoquée de la vie politique roubaisienne, au destin interstitiel si l’on peut dire, son décès est aussi l’occasion de rouvrir les pages d’une période sombre de l’histoire locale, à laquelle son mandat est malheureusement associé.
Je précise d’avance que mes commentaires portent bien sûr sur l’action de Pierre Prouvost et les résultats de celles-ci telles qu’elles apparaissent avec 30 ans de recul (et j’ai bien conscience qu’il est facile de distribuer bons et mauvais points a posteriori), et non sur sa personne et ses qualités humaines sur laquelle je n’ai ni information ni intention de porter un quelconque jugement.
Après 35 ans de mandat (!) de son prédécesseur, Pierre Prouvost est élu en 77 sur un profond changement du statu quo politique local : alors que Victor Provo gouvernait la ville sur une alliance socialiste / chrétiens démocrates, Pierre Prouvost se fait élire sur une liste de gauche. Son élection est aussi l’occasion d’un renouvellement et d’un rajeunissement des équipes, comme on peut l’imaginer avec un tel prédécesseur.
Historiquement et économiquement, Roubaix est déjà une ville sinistrée : la crise du textile bat son plein, les chocs pétroliers se succèdent, le chômage explose en France et dans le Nord en particulier, l’urbanisme des années 60 est à bout de souffle et la ville en souffre particulièrement.
Avec le recul, les actions majeures de Pierre Prouvost apparaissent au mieux comme inadaptées ou inefficaces, au pire comme porteuses de nombreux problèmes futurs.
D’un point de vue économique, Roubaix se rêve encore à l’époque un avenir industriel dans une filière textile qu’il s’agirait de soutenir et de relancer. Le discours de François Mitterrand à Roubaix en 83 montre cependant qu’il ne s’agissait pas d’une lubie locale mais bien d’un point de vue partagé. Vouloir soutenir sa filière historique n’est pas en soi forcément négatif; ce qui l’est plus, c’est de ne pas avoir cherché à développer à l’époque des filières d’avenir, on pense aux activités tertiaires et de service (où les activités de vente par correspondance ou de services financiers par les assurances auraient pu permettre un essaimage vertueux), et aux “nouvelles technologies” dont les premières réalisations seront bien postérieures (Eurotéléport a commencé à être projeté dans le début des années 90…).
En attendant, les fermetures d’usines et les faillites se succèdent et le taux de chômage explose; si la situation est légèrement moins sinistre que dans le bassin minier, elle est quand même nettement plus mauvaise que dans le reste de la métropole lilloise. L’évolution de la population est un indicateur qui ne trompe pas : c’est à une véritable fuite qu’on assiste pendant le mandat de Pierre Prouvost (le décollage de Villeneuve d’Ascq n’étant pas neutre non plus…), avec une population qui baisse de 7% en 5 ans et passe durablement sous le seuil des 100 000, qui reste encore aujourd’hui un objectif à atteindre qui apparaît presque comme un horizon indépassable.
D’un point de vue urbanistique, le bilan de la période est lui aussi très contrasté. Roubaix devient une sorte de mythe de la rénovation urbaine en France, avec le projet de l’Alma et ses comités d’habitants qui s’opposaient depuis des années à la municipalité. Si Pierre Prouvost parvient finalement à finaliser ce dossier, force est de reconnaître avec 30 ans de retard l’inadaptation du projet aux enjeux de la ville, à sa population, et aussi la médiocre qualité des constructions qui seront réalisées et qui donnent aujourd’hui un des quartiers les plus problématiques de la ville.
Les quartiers Cul de Four et Gare sont eux aussi concernés par les opérations de ces années, avec peu de réussite.
La perspective urbanistique de la ville reste celle des années 60 et 70, et l’équipe municipale n’a absolument pas intégré l’aspect patrimonial des bâtiments anciens de la ville, qui ne bénéficient d’aucun programme particulier; à tel point que le classement en monument historique de l’Usine Motte Bossut est farouchement combattu par la mairie, ce qui paraît aujourd’hui un vrai contresens.
La grande oeuvre d’urbanisme de la période est, dans une volonté d’ouverture et de désenclavement, la percée de l’avenue des Nations-Unies. Pas sûr que le bilan soit là aussi si positif que cela.
D’un point de vue politique, la ville de Roubaix apparaît comme ayant peu de poids dans la Communauté urbaine récemment créée (ou peu de volonté de participer à l’oeuvre commune ?), et l’exemple le plus frappant en est le tracé de la ligne de métro, projet structurant s’il en est, où il faudra attendre 1999 (!) pour qu’enfin il atteigne Roubaix et son territoire.
A mi-chemin entre le politique et l’économique, aucun effort particulier ne sera non plus entrepris sous le mandat de Pierre Prouvost concernant l’enseignement supérieur, qui paraît alors naturellement devoir être concentré dans la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq.
Enfin, on peut aussi considérer que cette période sonne la fin de la mixité sociale de Roubaix, pourtant atypique et historique dans la ville. Les populations aisées quittent en priorité la ville, et s’enclenche à cette époque la paupérisation de celle-ci, due à la concentration de populations défavorisées dans certains quartiers, à la part de l’habitat social disproportionnée dans certaines zones, et aux difficultés d’insertion et de reconversion d’une population d’origine immigrée qui se retrouve la première victime des difficultés économiques de la ville. L’insécurité dans certains quartiers (déjà!) devient un des thèmes de la campagne de 1983.
Pour être tout à fait complet, on peut néanmoins mettre au crédit de Pierre Prouvost de réelles innovations en termes de démocratie participative, avec la création des comités de quartier (comme le rappelle Grégory Wanlin dans son post d’hommage); à une époque où ça n’était pas une tarte à la crème des débats politiques, mais une vraie prise en compte des aspirations des habitants.
On peut certes remarquer que les difficultés connues lors du projet de l’Alma n’ont sans doute pas été étrangères à cette création, mais l’important est d’avoir lancé un mouvement
Au global, les décisions majeures de Pierre Prouvost portent plutôt la trace d’une fin de cycle d’un socialisme des 30 glorieuses. Les recettes appliquées ont été celles, traditionnelles, qu’on connaissait depuis longtemps; la Ville n’a pas su se saisir des enjeux de son époque; et, à part celle des Comités de Quartier, aucune avancée politique, aucun renouvellement de la vision de la ville n’est à mettre à son actif.
A l’issue de son mandat, Roubaix semble détruite entre chantiers d’urbanisme inachevé et friches industrielles qui se multiplient; les fines plaisanteries abondent sur la proximité sonore entre Roubaix et Beyrouth. Tirant eux-mêmes le bilan de cette mandature, les roubaisiens infligent un camouflet à Pierre Prouvost en élisant dès le 1er tour (à 69 voix près…) le candidat du centre droit, André Diligent, avec 50,19%. Une page est bel est bien tournée dans la ville qui avait pu être surnommée “La Mecque du Socialisme”.
En déplacement officiel à Roubaix le 25 avril 1983 (donc après les élections municipales de la même année et avec André Diligent comme nouveau maire), le Président de la République François Mitterrand lui-même parle de “l’état de détresse…de péril” de la ville, où se cumulent “perte d’emplois, population en déshérence, usines en friche, arrivée massive d’éléments qui cherchent aussi du travail sans en trouver”, et déclare finalement qu’elle est “l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire”. Fermez les bans.
* *
*
Ressources, liens, divers :